10 sept. 2006

LA RAISON DU PLUS FAIBLE

Si Lucas Belvaux voulait faire de sa Raison du plus faible un coup de poing dans la gueule de la société, force est de constater que son pain dans la tronche fait tout juste l'effet d'une chiquenaude sur le coin du nez. Mais une chiquenaude, ça peut faire mal quand même. Très mal. C'est à peu près ça, le dernier Belvaux : une attaque justifiée mais un peu molle de notre-société-comme-elle-va-mal, et de nos-prolétaires-comme-ils-en-chient. Si tout cela est très sensé, s'il n'y a aucune raison de réfuter le discours de Belvaux sur le chômage, le désoeuvrement et le désespoir qui s'en suit, si l'idée de mêler à sa réflexion une bonne lampée de polar nerveux, le résultat n'est pas repoussant, juste un peu mitigé.
Dans sa trilogie passée, Belvaux avait ancré l'intrigue à Grenoble, ville lumière à flanc de montagne, pour mieux étouffer ses personnages et les acculer à une réalité souvent glacée (mais parfois légère). Ici, il a choisi de poser sa caméra du côté de le Belgique, avec ses usines, ses voies ferrées, ses entrepôts. Couleur dominante : le gris. Belvaux utilise tout cette grisaille comme un personnage supplémentaire, celui qui viendrait asséner le coup de bambou derrière la nuque des autres. C'est réussi mais pas franchement original, malgré son coup de patte talentueux.
L'aspect polardeux apparaît d'abord comme un McGuffin destiné à faire parler chacun de sa condition, à cracher sans concession tout ce qu'il a sur le coeur. On en serait bien resté là, mais apparemment pas rassasié par sa précédente Cavale, Lucas Belvaux a tenu coûte que coûte à remettre le couvert. Du coup, la fin, avec son lot de coups de feu et de fuites en avant, masque la jolie (mais molle) construction sociologique du film. Et le titre ne veut par conséquent plus dire grand chose.
S'appuyant sur des comédiens efficaces (les moins connus étant les meilleurs), Belvaux a un peu tendance à trop se donner le beau rôle. Lui qu'on pensait si modeste, si humble, semble tenir à tout prix à faire la course en tête, à être le héros en solitaire d'un film qui aurait dû rester collectif. À cet égard, la fin, bien que magistralement filmée, est plutôt ratée car complètement irrespectueuse. Le plan-séquence aérien qui clôt le film, lourd de sens sans pourtant en faire trop, arrive trop tard : La raison du plus faible manque son impact en ne sortant jamais vraiment de son carcan socialo-franchouille. Ou plutôt belgeouille. Ô rage, ô désespoir.
6/10

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"Bienvenue au royaume du pisse-froid inculte qui est au cinéma ce que Philippe Manoeuvre est au rock" (© Trollman)
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