Non, ne fuyez pas, il n'est pas question ici de mathématiques, ou si peu, le temps en fait de justifier en une poignée de répliques ce titre si intrigant, dont les vertus romantiques ne sont que des apparences. Qui connaît les nombres premiers et le fameux (oui, fameux) crible Ératosthène sait très bien que plus ceux-ci sont grands, plus ils sont éloignés les uns des autres, divergeant peu à peu vers un état d'intense solitude. Les personnages nés dans le roman à succès de Paolo Giordano, ont-ils vraiment tendance à s'isoler de plus en plus à mesure que les années passent ? Pas tout à fait : leur trajectoire serait plutôt d'ordre sinusoïdale, avec ses passages hauts et ses coups de mou, ses retours à la normale et ses soudaines remontées. S'attardant alternativement sur quatre périodes-charnières des existences de Mattia et Alice, deux petits italiens amenés à se croiser et à s'apprivoiser, le film de Saverio Costanzo est moins mathématique que métaphysique, comme une plongée dans le cosmos en compagnie de deux âmes seules. On suit en parallèle leurs enfances déchirées, scarifiées même, au cours desquelles drames et traumatismes tendront à faire d'eux des adultes avant l'heure.
Énième roman d'apprentissage, simple film d'initiation de deux jeunes gens s'adaptant mal à la vie dite normale ? Non, La solitude des nombres premiers va plus loin que ça, notamment grâce à l'insondable tristesse qui semble s'emparer des principaux protagonistes. Dès leur plus jeune âge, ils semblent empreints d'une mélancolie dévastatrice et apparemment héréditaire. Que des enfants d'apparence ordinaire soient condamnés d'emblée à traîner derrière eux leurs états d'âme comme d'autres portent leur croix laisse pantois. Loin de se complaire dans un éloge petit-bourgeois de détresses infantiles, Costanzo va plus loin, collant de près (sans avoir lu le livre, on l'imagine) au style du romancier pour mettre le doigt sur chacune des névroses et des psychoses rongeant peu à peu l'existence de Mattia et Alice. Résultat : régulièrement, le film revêt une parure de giallo oppressant, prenant aux tripes et à la gorge tout spectateur s'étant lancé sur les traces des deux héros. Dès le formidable prologue, on sait. On sait qu'on ne lâchera plus ces deux personnages-là, d'un vestiaire de gymnase à un appartement douillet en passant par une soirée dansante prenant des allures de scène de théâtre antique.
Malgré son éclatement narratif dû à la multiplicité des périodes et à la nécessité de traiter les points de vue des deux personnages, le film fait preuve d'une admirable fluidité et ne cherche jamais à se donner des allures de mauvais puzzle. On ne passera pas deux heures à s'interroger sur les raisons de la gravité qui semble s'être emparée des visages d'Alice et Mattia : celles-ci sont patiemment exposées au gré de scènes souvent déchirantes mais jamais mélodramatiques. Costanzo choisit de s'attacher davantage aux lieux et aux cicatrices qu'aux personnes, à l'image de ses personnages déshumanisés. La dernière partie, qui s'attarde contrairement à ce qui précède sur une unique période, poursuit dans ce sens de façon fort cohérente : évitant tout sensationnalisme, soucieux d'éviter la gravité sous toutes ses formes, le metteur en scène intrigue, émeut, broie et éviscère un spectateur interloqué d'être passé par autant de sentiments en si peu de temps. C'est sans doute cela qu'on appelle un grand cinéaste.
La solitude des nombres premiers (La solitudine dei numeri primi) de Saverio Costanzo. 1h58. Sortie : 04/05/2011.
Toutes pour Une : la bande-annonce
Il y a 1 jour
8 commentaires sur “LA SOLITUDE DES NOMBRES PREMIERS”
Cela n'a rien à voir avec la qualité de ton article, mais excuse-moi, comment peux-tu affirmer que le réalisateur n'a pas lu le livre? D'autant que l'auteur du livre a contribué à l'écriture du scénario... Je ne pense que La solitude des nombres premiers soit le genre de livre qu'on adapte au cinéma comme ça, sans l'avoir lu.
La phrase est maladroite, mais je n'entendais pas du tout qu'il n'avait pas lu le bouquin. Ce que je veux dire, c'est que MOI, sans avoir lu le livre, J'imagine qu'il doit coller de près au style du romancier.
Je ne sais pas si c'est plus clair comme ça.
Ah ok, en effet je comprends mieux maintenant, merci :).
QUELLE PUTAIN DE CLAQUE DE PUTAIN DE FILM DE PUTAIN D'ACTEUR.
LA VIE C'EST RIEN QUE DU CACA BOUDIN DES FOIS !
PAUVRES GOSSES !
Acteurs incroyables (surtout ados), réalisation magnifique, bande originale mortelle, ton très juste qui n'en fait jamais trop. Un des grand films de l'année pour moi pour l'instant.
Le premier plan donne le ton. Cette tension ne nous lâche plus durant tout le film. Il y a des pics d'intensité soutenus par cette musique oppressante.
Tristes adultes qu'ils sont devenus.
Les acteurs sont époustouflants du plus petit au plus grand.
Dénouement non mathématique. Relâchons la pression, piouf !
"Qui connaît les nombres premiers et le fameux (oui, fameux) crible Ératosthène sait très bien que plus ceux-ci sont grands, plus ils sont éloignés les uns des autres, divergeant peu à peu vers un état d'intense solitude."
Cette phrase est mathématiquement fausse... Et le crible d'Eratosthène n'a rien à voir là-dedans.
Un étudiant en mathématiques.
Il n'est pas difficile de croire en ces personnages et impossible de se mettre à leur place. Le film est peut-être, malgré sa grande réalisation et ses acteurs stupéfiants, moins bien que le livre; qui nous dévoile plus sur la vie des personnages. Il n'en demeure pas moins un excellent drame qui reste à l'esprit une fois fini. Je le conseille à ceux qui ont besoin d'une leçon de vie.
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