
Substitute porte bien son titre : outre la description de la dure vie de remplaçant, il montre également comment le désir de faire un film se substitue peu à peu à celui de jouer au foot. Commençant comme le journal intime d'un footballeur (comme "Les yeux dans les bleus" dans une version très intimiste), Substitute dérive bien vite vers le récit d'une dépression teintée de paranoïa. Seul dans sa chambre d'hôtel, Dhorasoo extériorise peu à peu son mal-être, l'incommensurable ennui qui l'enveloppe, la profonde solitude qu'il vit à la fois comme un poids (dur de n'avoir personne à qui parler) et un moindre mal (tout au long de sa carrière, on a lu çà et là qu'il n'affectionne pas vraiment les ambiances de vestiaire). La parano guette : le footballeur se sent mis à l'écart, rejeté, mal-aimé par ce sélectionneur qu'il considère comme un père "spirituel". S'il n'y a aucun doute sur l'intelligence de Dhorasoo, deux choses semblent tout de même lui manquer : un peu de maturité (il ressemble parfois à un sale gosse qui prépare sa crise d'adolescence tout seul dans sa chambre) et une grosse louche de modestie (persuadé d'être le meilleur, il n'imagine pas un seul instant qu'on ait pu lui préférer des joueurs tout simplement meilleurs). En bon ami, Poulet n'insiste pas lourdement sur ces défauts, mais signale tout de même leur existence en toute objectivité.
Si Stone avait rencontré Kafka (dont Le Château comporte des coïncidences troublantes avec le film), cela aurait pu donner ce Substitute. Mais non : fruit de la collaboration d'un chanteur méconnu mais doué et d'un footballeur inconstant mais pas inconsistant, le film est également une jolie histoire d'amitié entre deux hommes que rien ne prédisposait à se rencontrer. Il faut voir ces deux-là se confier des secrets comme deux ados timides, se filmer l'un l'autre pendant de longues minutes (à l'origine d'une scène très drôle à la "Où est Charlie ?"), échanger clandestinement des bobines pour se faire partager leurs points de vue. Car Fred Poulet filme également, mais en 35 mm ; de l'extérieur, il raconte sans les montrer comment les proches du joueur vivent cette mise à l'écart, et dissèque sans excès l'évolution du mental de Dhorasoo. Avec un vrai sens du plan et un amour des petits détails, Poulet rend Substitute non seulement fascinant pour les fans de foot (même si l'on aperçoit très peu les pelouses allemandes) mais également très touchant pour tout le monde.
D'ailleurs, Substitute n'est pas vraiment un film sur le football : le seul moment inédit concernant la Coupe du Monde est une captation un rien clandestine dans les vestiaires après la finale (avec notamment un plan insistant sur David Trezeguet, tireur malheureux). Finalement, le calvaire de Dhorasoo n'est pas si éloigné de celui d'un comédien qui trouve le temps long en attendant d'aller dire chaque soir l'unique réplique qu'on lui a attribuée. C'est toute la beauté de ce petit film ô combien singulier : montrer l'universalité de l'ennui, l'égalité de tous devant le temps qui passe, l'impuissance devant les choix des autres. Dhorasoo n'a quasiment pas joué en Coupe du Monde, mais le film qu'il a tiré de cette frustration vaut sans doute tous les trophées sportifs du monde.
7/10
(également publié sur Ecran Large)
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