7 août 2011

L'artiste et le poker : un full sentimental



Est-ce à cause de Patrick Bruel ou de l'avènement des années Internet ? Toujours est-il que le poker, ce beau jeu de cartes aux dix mille variantes, effectue depuis quelques années une montée en puissance assez vertigineuse. Les pratiquants prolifèrent, les émissions TV se multiplient, et c'est un véritable phénomène qui ne cesse de prendre de l'ampleur sous nos yeux.

Qui s'est assis quelques heures devant une table de poker (ou face à un écran d'ordinateur, même si le plaisir est bien différent) sait bien à quel point il est difficile de ne pas devenir accro à cette discipline exigeante, aussi crispante qu'enthousiasmante, qui délivre son lot d'adrénaline et d'angoisse. Tenter de cerner ses adversaires, leur faire imaginer un jeu qu'on n'a pas en main, se voir déjà gagnant mais se faire coiffer au poteau, regretter éternellement une prise de décision malheureuse... les parties de poker sont des histoires, les tournois de vraies petites vies, avec une naissance, une croissance et une mort plus ou moins lente mais en tout cas inexorable. Fascinant à tous points de vue. Alors comment expliquer que les films consacrés au poker n'aient pour l'instant pas fait mouche ?

Laissons de côté les westerns, dans lesquels des parties de poker se jouent effectivement (voir par exemple La ville du diable, avec John Wayne dans le rôle principal), pour se consacrer à un cinéma plus contemporain, donc potentiellement plus ouvert sur le poker actuel, et sa variante la plus pratiquée, le Texas Hold'em. L'une des premières scènes d'Ocean's eleven montre comment Brad Pitt et George Clooney parviennent à truander de jeunes blancs-becs trop sûrs d'eux. Le film Les joueurs, avec Matt Damon et Edward Norton en tête d'affiche, dispense quelques scènes vaguement divertissantes mais s'intéresse surtout aux à côtés d'ordre pécuniaire. Quant à la comédie The grand, avec notamment Woody Harrelson, elle se consacre effectivement à un tournoi de poker, mais ses joueurs sont réduits à l'état de stéréotypes dans le simple but de faire rire. Bref, le cinéphile amateur de poker est frustré de voir ses deux occupations favorites peiner à converger de façon satisfaisante.

La première raison de cet échec chronique est simple : il s'agit généralement de réaliser des films s'adressant au plus grand nombre, y compris aux néophytes. Par conséquent, il faudrait à la fois expliquer les règles, les enjeux et les finesses du poker, puis dérouler une intrigue et des parties de façon crédible, le tout en deux heures à peine. Même le plus pédagogue des scénaristes risque de se casser les dents face à un tel défi : si le poker était aussi simple, il serait pratiqué dès l'école primaire.

Penchons-nous un instant sur les films consacrés aux échecs, autre discipline éminemment complexe : ils s'attardent davantage sur les grands champions, aussi géniaux que névrosés, que sur le jeu lui-même. Le modèle du genre, à savoir La diagonale du fou de Richard Dembo, est peut-être le seul film à se focaliser véritablement sur les échecs, pas seulement sur ceux qui le pratiquent avec génie. Coup de maître : avoir foi en l'intelligence du spectateur et rendre l'ensemble assez passionnant pour que les petits détails stratégiques difficilement explicables finissent par passer au second plan.

Autre difficulté : la façon de cerner les joueurs. Après tout, ce qu'il y a de fascinant au poker, c'est qu'on ne sait jamais véritablement qui on a en face de soi. Avant que les émissions télévisées ne leur permettent de décoder a posteriori les différentes mains jouées, les joueurs professionnels ne pouvaient jamais déterminer de façon certaine s'ils avaient été salement bluffés ou si leur opposant avait effectivement un jeu de plus haut niveau que le leur. Et c'est dans ce mystère éternel, cette frustration de l'inconnu, que s'opère une partie de la fascination exercée par cette discipline. Or, si l'on commence à tout dévoiler des joueurs, de leur tactique et de leurs cartes, cette aura risque de s'envoler en quelques scènes à peine. Difficile pour un réalisateur et un scénariste de garder la distance nécessaire pour en montrer suffisamment sans trop en dire.

Enfin, à supposer qu'un auteur trouve l'angle juste pour traiter convenablement du poker et de ceux qui le pratiquent, pas sûr que l'étrange rythme de ce jeu puisse coller à une adaptation cinématographique. Jouer au poker, c'est accepter que le temps se dilate, que les mauvaises mains se succèdent pendant des dizaines de minutes, que d'autres raflent la mise devant vos yeux... puis qu'en une main et quelques secondes à peine, tout change. La cadence des séries télévisées serait finalement plus adaptée pour rendre compte du rapport entre le joueur de poker et le temps.

L'artiste et le poker ont donc très fort à faire pour parvenir à trouver l'équilibre parfait entre une description juste du monde du poker et les contraintes de l'industrie cinématographique. Il y a pourtant des émotions communes dans ces deux disciplines : cette façon de ménager des surprises, de créer des fausses pistes, de garder d'autres atouts pour plus tard. Un jour peut-être, qui sait, une bande de petits génies parviendra à réunir ces deux arts et à en faire un chef d'oeuvre susceptible de toucher l'intégralité du public, connaisseur ou non.

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"Bienvenue au royaume du pisse-froid inculte qui est au cinéma ce que Philippe Manoeuvre est au rock" (© Trollman)
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