Il y a toute l'Amérique dans Putty Hill. Celle de Larry Clark, de Gus van Sant, de Raymond Carver et de Brady Udall. Le film de Matthew Porterfield réussit une synthèse parfaite, discrète et émouvante de tous ces courants de style et de pensée qui ont le mieux décrit les affres et les errements de la jeunesse américaine du dernier quart de siècle. Cette réussite prodigieuse et minimaliste tient du miracle, d'abord parce qu'elle joue dangereusement la carte du docu-fiction. Au milieu de scènes clairement fabriquées, mais dans lesquelles transparaît toujours une vérité éblouissante, les jeunes gens qui traversent le film sont interviewés par un homme dont on n'entendra que la voix. Personnage du film ? Porterfield lui-même ? Spectre narratif destiné à tirer de ces jeunes des confessions qu'ils n'auraient jamais pu faire autrement ? Pendant le film, la question ne se pose même pas, tant la mise à nu permanente de ces anti-héros nous étourdit. Quand la puissance de ce qui se produit à l'écran laisse au troisième plan les questions d'ordre technique, c'est que quelque chose de grand est en train de se produire.
Putty Hill débute avec un ado venant de découvrir le paint-ball. Il retire son masque, laissant apparaître deux yeux hagards, infiniment tristes. Nous sommes la veille de l'enterrement de son frère, retrouvé mort suite à une overdose. Le film entend décrire ces instants suspendus qui suivent la disparition de quelqu'un qu'on a aimé et qu'on aimera toujours, d'une personne qui était là hier et dont on a bien du mal à imaginer qu'elle ne reparaîtra plus. Tous les gens filmés par Porterfield semblent ne pas avoir tout à fait pris conscience de ce que signifie le décès de ce jeune homme. Ils semblent frappés par une indifférence qui n'est en fait que l'expression paradoxale de leur état de choc. C'est ce flottement qui rend le film si beau ; parce que malgré son point de départ potentiellement déprimant, Putty Hill est un film lumineux, quelque part entre le monde des vivants et celui des morts, dans un tunnel où presque rien n'a d'importance. Si les personnages du film parlent plus de leur vie actuelle et future que de la disparition de leur ami, ce n'est pas par égoïsme mais par pudeur, comme dans ces réceptions d'après-funérailles où l'on tente laborieusement de meubler la conversation. Hill montre à merveille la façon dont ces jeunes remplissent sans le savoir un vide qui devrait les terrifier.
Au-delà de leur postulat commun, il y a dans le film de Matthew Porterfield quelque chose de Ken Park, une léthargie cotonneuse remplaçant les comportements débridés des héros de Larry Clark. La poésie qui s'en dégage n'a pas de limite. On passerait volontiers des heures à l'arrière de cette voiture lancée à vive allure, vitres grandes ouvertes, dans laquelle une jeune fille se confie face caméra. Ce qu'elle dit est assez beau, mais peu importe : c'est le plan en lui-même qui est bouleversant, symbole d'une génération roulant à tombeau ouvert sans même s'en rendre compte. L'absence de réel fil narratif honore totalement le cinéaste, qui n'en a nul besoin pour captiver, hypnotiser et piquer au vif. Ce rêve éveillé, délicatement empreint de spleen, constitue à n'en pas douter l'un des plus incroyables moments de cinéma d'une année qui s'était jusque là montrée trop tapageuse pour être séduisante.
Putty Hill de Matthew Porterfield. 1h29. Sortie : 07/09/2011. Fiche ACID.
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