23 mai 2006

LE CAÏMAN

Bruno Bonomo est un producteur raté. Ses plus grandes "réussites" s'appelent Cataractes et Maciste contre Freud. Un jour, une jeune femme lui demande de lire un scénario. Son titre : Le Caïman. Une charge féroce à propos d'un homme nommé le Caïman, qui rappelle fâcheusement un certain Berlusconi. N'ayant pas grande conscience politique et préférant les films sanguinolents, Bonomo aurait dû refuser. Pourtant...
Au départ, Le caïman (le film de Moretti, pas le film dans le film) fait peur. On craint un film à thèse, un objet pachydermique et manichéen à la Michael "Zorro" Moore. Au bout de cinq minutes, les crainte s'envolent. Car Le Caïman n'est pas un film sur Berlusconi. Le héros est bel et bien Bruno Bonomo et c'est là une fameuse idée.
Nanni Moretti suit d'abord la vie de son personnage principal, qui mène une vie privée assez pathétique et peine à trouver sa place dans le monde du cinéma. Puis il entrecoupe son récit d'extraits du film sur le Caïman. Et c'est là que le film puise sa force. Car en évitant l'attaque frontale contre un Berlusconi que tous les non-Italiens s'accordent à trouver minable, Moretti n'en est que plus efficace. Un réquisitoire en règle aurait été de trop : à quoi sert de s'acharner verbalement contre un salaud notoire? Mais Le Caïman, dont la première heure est une vraie farce, choisit de tourner sa cible en ridicule au lieu de l'accabler. Avant d'être un pamphlet, Le Caïman est d'abord un vrai film. On y retrouve d'ailleurs les scènes incontournables du cinéma de l'Italien : une parodie de série Z, une scène de chant en voiture, une rencontre sportive... Des petits détails apparemment anodins mais qui soulagent en montrant que Moretti n'a pas laissé son âme au vestiaire pour signer ce film.
Du rire et du cogito : que demander de mieux? Une forme réussie, pardi. Et c'est qu'offre le Méga Best Of Nanni, qui fait interpréter le Caïman par trois interprètes successifs, pour mieux montrer son populisme éhonté et sa démagogie outrancière. Le Caïman doit également beaucoup à Silvio Orlando, compagnon de longue date de Moretti, une sorte de Droopy en chair et en os, un peu minable mais tellement attachant. Rien que pour ses yeux de basset, il mériterait un prix d'interprétation à Cannes.
Puis, quand son héros pète les plombs, Le Caïman laisse la farce de côté pour se faire plus sombre, plus dramatique. Hommage un peu grave à une Italie qui a su rester debout malgré les frasques de son gouvernant numéro 1, la fin du film émeut. Et la dernière scène, qui voit le Caïman interprété par Moretti lui-même, offre à la fois un pied-de-nez jubilatoire et un moment d'émotion franchement vibrant.
Diablement malin, courageux sans être excessif, Le Caïman est sans doute le meilleur film de Moretti.
9/10

1 commentaire sur “LE CAÏMAN”

Jul a dit…

J'ai revu le film aujourd'hui même, personnellement je ne trouve absolument pas que Moretti se rapproche de Moore. La dernière scène est la plus terrible du film: on devine que Berlusconi n'ira jamais en prison, mais pire, il ne connaît désormais plus aucune limite puisqu'il a monté le peuple contre la justice par l'intermédiaire des journalistes. Cela dit je suis d'accord pour dire que le film est traité de façon très intelligente, et sait placer au bon moment les moments-clés de ce qui a fait la "célébrité" de Berlusconi à l'étranger. Le fait que le film rassemble à lui seul la plupart des plus grands acteurs et cinéastes italiens contemporains (Garrone, Mastandrea, Buy, Trinca, Placido, Sorrentino, Virzì, Orlando, Mazzacurati) donne encore plus de force au film, comme si tout le cinéma italien (qu'il soit ou non de gauche!) avait enfin trouvé son moyen à lui de condamner de façon définitive Berlusconi.

 
"Bienvenue au royaume du pisse-froid inculte qui est au cinéma ce que Philippe Manoeuvre est au rock" (© Trollman)
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